"Je t'interdis de parler de lui comme ça, vieux crouton de goule !" Je crache mes mots comme une lave insultée. Je suis une éruption de colère qui glougloute dans ma gorge et déborde entre mes lèvres carmines. Connard de bouse de dragon ! Lui m'a attrapé par le poignet, me retournant comme un pantin. Ses yeux luisent comme de l'huile chaude, ses joues frémissent et palpitent d'un rouge sanguin. "Commence pas avec ça petite. Les paroles rapportées c'est comme pisser dans un chaudron : ça ne forme jamais de bonnes potions." "Tu ! Espèce de..." Il me fait taire avec sa seconde main, la plaquant sans cérémonie sur ma bouche en volcan. Je suis l'Etna qui bouillonne et implose. En moi, les rochers se percutent, déboulent au milieu de mes entrailles, finissent en mini météorites aux bouts de mes doigts. Et ça crépite, j'ai l'épiderme qui prend feu. La forêt de mes poils qui crame à son contact. "Si je veux dire que le petit con qui te sert d'ex est une raclure de chouette, ça me regarde miss. J'ai pas d'ordre à recevoir des jeunes filles trop bien élévées, pigé ?" Je ne peux pas lui répondre. Pourtant, en moi le magma gronde comme un monstre affamé. Il veut sortir et le dévorer. Mais sa main reste là, barrière de chair contre mes lèvres-brasier. Je me débat en réalité bien moins que ce que je voudrais. il me relâche et s'éloigne d'ailleurs de quelques pas. Mon regard qui avait crocheté le sien, reste perdu sur le vide soudain de sa silhouette. Il grogne encore en moi comme une bête en fusion, aux accents de rouge et de noir. Pourtant je cherche l'air, j'aspire à grandes goulées mais rien n'y fait. J'ai le gosier aussi cramé qu'un flanc de montagne après l'été. Je ne saisie pas son brusque recule, cet éloignement dans la dispute. Il rompt la danse en plein quadrille et j'ai la sensation grisâtre de mettre éclatée au sol sans préambule. Je suis une danseuse de cendres impromptues, la bouche pleine de poussière grise et amère. Je n'arrive qu'à haleter. "Quoi, toucher une vraie chasseuse d'hybrides te débecte à ce point ?!" Le volcan ne prévient pas, il se rengorge et explose tout à coup. Mon ton est un impardonnable à lui tout seul. Il semble d'ailleurs, rien qu'une seconde, s'être reçu une gifle en pleine figure. "Pauvre sotte. Petite Daisy, tu es ridicule ma fille." "Ma fille ? Mais je suis pas ta fille enflure ! Tu lui roules une pelle toi, à ta gamine ?! Va y Cassius, va donc la regarder comme parfois tu me regardes, ta fille. Putain à moldu, je t'interdis de parler de Tenebrus comme ça tu m'entends ?" Je tremble, éventrée du crâne jusqu'au nombril. Pourquoi n'ais-je pas su garder mon calme ? Pourquoi devenir archère en mots alors que je voulais simplement lui parler du baiser de l'autre soir ? Je reste sur place, échevelée, essoufflée. Lui s'éloigne sans rien ajouter, la mine supérieure des adultes que les enfants agacent. "Y'a que moi qui insulte ce merdeux..." Ma voix n'est plus qu'un filet noirci. La catastrophe se calme, tout autours fait silence. Et dans le cimetière de mon bureau tout brulé, je me demande pourquoi les hommes s'éloignent toujours sans me regarder. Ignorent-ils vraiment tous que de la montagne incendié, naissent les plus belles fleures d'été ?


C'est la dernière cigarette. Ce briquet est un vrai chalumeau, il me noirci les doigts comme du charbon. Du charbon pour érailler doucement ma gorge de cendre tièdes. Vous voyez ? Brûler un peu en soirée, pour chasser le gel des galaxies. C'est encore la nuit, bien sûr. Et le marchand de sable est si long à venir. Il m’oublie, ou je suis sa toute dernière visite. Ou alors, il s'est arrêté en cour de route pour aller pisser ; et  je suis là, à cette fenêtre ouverte sur minuit, en train d'aspirer une petite étoile à ammoniac entre mes dents. Je scrute sans fin un ciel brouillon, où aucune silhouette de vieillard nomade et ensablé ne daigne se dessiner. C'est malin. Tout est si calme ici. Le tumulte de Diagon Alley, n'est plus ici que le bruissement des hiboux et des capes. Et pourtant... Les gardes grouillent dans chaque recoins. Il n'y a pas à vous en faire, on peut dormir tranquillement dans le quartier. La lune est voilée, presque invisible. Trop de pollution sur Londres, foutus moldus. Il n'y a rien que cette brume orange dans la lueur huileuse des réverbères. Ce serait presque romantique, cette purée de mimolette sur la capitale endormie.

L'aube se pointe soudain entre les stores, des rayures oranges et liquides ; et le marchand de sable m'a définitivement oubliée. Est-ce que ça se voit beaucoup, le violet de sommeil sous mes yeux ? On dirait qu'on m'a boxée comme une pauvre chose, on dirait que j'ai deux grands coquards. Peut-être que la prochaine fois, lorsque se sera repos, j'irais chercher du sable moi-même. Avant que la lumière ne s'éteigne ou que le vent ne se lève. J'entends alors le craquement des marches et je voudrait lui crier de faire attention. C'est Léo qui m'apporte des nouvelles, et du café. Et ça efface tout, une odeur de caféine et de sucre, après le chômage technique du train pour le pays des rêves. Je lui demande comment s'est passé la traque, vous voyez ? Avec une espèce de petite nonchalance que je ne ressens pas. Il hausse les épaules, affirme que tout s'est déroulé sans accrocs. Mais ses mains serrent très fort son gobelet.  J'ai peur pour eux ; d'un coup de crocs qui les transforme de chasseur en proie, d'un bras arraché... Mais j'aime bien aussi ce moment, quand il a moins l'air d'un vilain garçon mais plutôt d'un môme, ou de quelqu'un qui a froid.

J'aimerais lui raconter tous ces doutes qui me disputent entre ciel et terre. Lui dire les bourrasques dans mon ventre, la girouette ballottée dans sa tête. Lui dire les tourbillons de poussières, lui expliquer le corps qui part en arrière dans le siphon d'un gigantesque courant d'air. Un coup de vent et vous voilà éparpillez au fond du trou.

Mais je ne le ferais pas. Quand le trafiquant de sommeil en poudre me fuis, nuit après nuit, je préfère me taire. Vous savez, je souffle sur le sable de leurs utopies sans même le vouloir. On peut disparaitre ici, sans même s'en apercevoir. Alors, je me tais. Parce que je ne voudrais pas lui souffler dessus aussi. C'est si fragile, vous voyez, le Lord, les Mangemorts, la Rébellion. Et j'ai autant de délicatesse qu'un ouragan.