#NEW_DELHI_04/1984
La tension était palpable dans toute la demeure, une imposante bâtisse au style colonial. Tout y respirait l'harmonie et la richesse, les lampes accrochées autour de la maison diffusant des auréoles orangées contre les murs et les colonnes d'un blanc immaculé. A l'extérieur l'un des gardiens effectuait sa petite ronde habituelle dans le jardin, passant avec attention devant la grande grille en fer forgé : tout semblait normal cette nuit-là, chaude et horriblement moite, mais rien d'inhabituel en ce mois d'avril. Mais même comme ça le vieil homme, qui effectuait ce métier pour la famille Shafiq depuis maintenant de nombreuses décennies, ne réussissait à pas à rejeter le stress qui l'envahissait. Car si aucun événement perturbateur n'avait lieu, au contraire, la tension était palpable dans l'air humide de New Delhi : Ansya Shafiq, la femme de son employé et maître, se trouvait sur le point d'accoucher. Dans le silence de la nuit, la demeure se trouvant à quelque distance du chaos de la capitale indienne, des cris de souffrance montaient régulièrement de la chambre située à l'étage. A l'intérieur s'affairaient autant le médecin que la sage-femme, travaillant autour du grand lit à colonnes où se trouvait Ansya. Couchée et recouverte de sueur, les jambes écartées couvertes par un drap, elle soufflait avec difficulté, les traits tirés par la fatigue et la douleur. Mais au fond de ses yeux brillait une détermination sans faille, un courage dont seules les femmes fortes peuvent faire preuve. Agenouillé à ses côtés, une main enserrant celle de sa femme et l'autre lui passant régulièrement un linge humide sur le front, se tenait Jamal Shafiq, son époux. En ces moments il ne ressemblait plus à l'homme redoutable et redouté de tous, à l'intelligence supérieure et aux multiples talents de menteur et de manipulateur : les yeux gonflés par la fatigue, le front plissé par l'inquiétude, il ne savait que faire pour alléger les souffrances de sa femme, hormis se tenir à ses côtés, se montrer d'une présence sans failles. C'est à ce moment qu'Ansya poussa un cri plus fort que tous les autres, que son ventre se contracta plus que précédemment. Et c'est à ce moment que résonna dans la chambre un cri plein de vie et porteur d'espoir. Le premier cri d'un nouveau-né. « C'est un garçon ... un joli petit garçon ! » Tandis qu'on lui tendait son fils enveloppé dans un linge blanc et moelleux, la désormais mère ne put empêcher des larmes de joie de couleur sur son visage transpirant, où la fatigue se mêlait à un bonheur extrême. « Rohan ... » Sa voix tremblait d'émotion tandis qu'elle dépose sur le front fripé du nouveau-né un baiser empli d'amour et de tendresse, celui d'une mère à son fils.

#NEW_DELHI_04/1999
Le grand réfectoire commun baignait dans une douce lumière tamisée filtrant par les fins tissus blancs faisant office de plafond. L'eau cristalline s'écoulant tel un petit ruisseau en plein milieu du réfectoire diffusait une agréable fraîcheur, bienvenue par la chaleur d'avril. Assis aux différentes tables, regroupés par maisons, les élèves s'adonnaient à ce qu'ils semblait savoir le mieux faire : discuter à haute voix, crier, hurler, rigoler, le tout autour du repas de midi. Tous s'échangeaient les derniers potins, les devoirs à rattraper en urgence pour le cours suivant, les astuces diverses et variés, ou tout simplement des résultats du cricket des sorciers : les discussions couplées aux sons des services s'entrechoquant donnait l'impression de se trouver dans un bazar. Puis un autre bruit monta dans l'air frais, celui de centaines d'ailes battant l'air : l'heure du courrier. Ce fut donc une véritable pluie de couleurs et de piaillements qui s'abattit sur les élèves, et quelle ne fut la surprise du jeune Rohan, alors âgé de quinze ans, de voir Zazu, le toucan toco familial, se poser devant lui. Intrigué et excité à la fois, se demandant bien pourquoi ses parents lui écriraient une semaine après son anniversaire, Rohan déballa le parchemin attaché à la patte de l'oiseau, le gratifiant au passage d'une petite grattouille derrière la tête. Reconnaissant l'écriture fine et élégante de son père, le jeune élève s'assombri au cours de sa lecture, au fur et à mesure que ses yeux lisaient le contenu de la missive. A la fin, ses doigts tremblants laissèrent échapper le parchemin, qui termina sa course directement dans son plat, sous les yeux ébahis à la fois de Zazu et de ses voisins de table les plus proches. Ceux-ci n'hésitèrent d'ailleurs pas à faire preuve de curiosité et à interroger Rohan sur ce qui n'allait. Car oui, ils voyaient bien que cette lettre venait de grandement choquer le fils unique de la famille Shafiq. « Mon ... mon père. Je rentre ce soir à la maison ... et on part bientôt pour l'Angleterre. » La voix tremblante, où se mêlaient incompréhension et surprise, Rohan ne pouvait s'imaginer ce qui poussait son père à prendre une telle décision. Et à vrai dire il s'en moquait, trop occupé à penser aux conséquences immédiates de cette annonce : il devrait quitter cette école, ses amis, tout ce qu'il connaissait et aimait. Impossible ! Son père ne pouvait pas être sérieux, il ne pouvait pas. Si seulement il savait que la décision de Jamal ne pourrait être changée.

Contrairement à ce qu'il pensait les premiers jours suivant l'annonce du départ imminent pour l'Angleterre, Rohan s'en accommoda étrangement bien. Et cela grâce à son père, qui encore à New Delhi commença à lui donner toute sorte d'informations, à lui expliquer les raisons profondes de ce voyage, le but final de tout cela : faire tomber ce gouvernement ainsi que Voldemort. Non, Rohan n'aurait aucun rôle à jouer là-dedans, tant cela se révélerait dangereux. Mais le jeune garçon ne craignait pas pour la sécurité de son père : après tout n'était-il pas l'un des sorciers les plus doués qu'il connaissait, celui à qui il vouait tout son respect et son admiration ? Emménager au château Shafiq fut pour Rohan une véritable partie de plaisir, donnant lieu à des longues journées d'exploration et de découvertes : il avait l'impression d'en apprendre plus sur sa famille dans chaque pièce, chaque peinture, chaque photo et chaque livre. Et puis l'imposante bâtisse ne tarda pas à recevoir de nombreux visiteurs, ces fameux résistants, qui tous si différents les uns que les autres représentaient aux yeux de Rohan de véritables puits de savoir où il pouvait se plonger sans crainte : trouver de nouveaux professeurs devint son nouveau passe-temps, apprendre de ces sorciers aguerris remplaça les cours auxquels il était habitué en Inde. Et même si les journées agitées mais à la fois paisibles de son ancienne vie lui manquent parfois, il trouve toujours de quoi s'occuper l'esprit dans le château. Et puis même s'il ne l'avoue pas, Rohan sent qu'au fond de lui la cause de son père le gagne peu à peu, qu'il sera sans doute un jour prêt à s'engager un peu plus. Un jour, même s'il n'est pas près d'arriver si vite que ça.