Elle se tenait un peu à l’écart mais on ne pouvait pas la manquer ; une cascade de blondeur déferlait sur sa cape émeraude, et une colonie de bijoux, tous faits-sur-mesure pour la reine des reines, réverbéraient avec éclat la clarté de ce jour sinistre. A quelques pas de là, le bourreau préparait les condamnés. Desmera, pleine d’empathie, étouffa un bâillement ; sa mère la poussa légèrement du coude, car on venait de tourner la tête en chuchotant dans leur direction. « Qu’est-ce qu’ils racontent ? », lui demanda Mrs. Goyle en faisant bouffer l’une de ses boucles. « Ils se demandent probablement ce qui leur prend autant de temps. Ce n’est pas comme s’il fallait les rendre présentables pour leurs dernières minutes… », répondit-elle plus bas, et sa mère la réprimanda du regard. « Ils disent qu’ils savent de qui la nouvelle tête du département des mystères tient sa beauté légendaire, ma petite maman. », susurra-t-elle sans même à avoir besoin de lire dans l’esprit de sa génitrice qu’elle connaissait par cœur, un sourire enjôleur aux lèvres ; elle passa son bras sous le sien, complice, et s’en retourna à l’ennui terrible qui la saisissait depuis plusieurs minutes.

Car si elle savait pertinemment que c’était un jour historique auquel elle se devait d’être vue –et  à son avantage, comme l’indiquait sa tenue peu discrète, mais qui lui allait remarquablement bien au teint-, elle devait également endosser ses nouvelles responsabilités de ministre. Alors que les mines défaites grimpaient l’estrade, un sourire félin étira ses lèvres sans pour autant dévoiler l’émail éclatant de ses dents ; ce nouveau poste était le rêve de toute une vie, l’étape finale d’efforts déployés depuis qu’elle avait pris sa première goulée d’air. Ou alors, l’étape intermédiaire avant le titre suprême, avant d’occuper le siège ultime, du chef des chefs, avant de gouverner l’Angleterre et ses îles alliées ? Plutôt que de s’étourdir d’ambition et de projets glorieux, Desmera préférait savourer sa récente victoire. Et puis, elle avait au département un stagiaire qui aurait aisément pu poser pour la dernière collection homme de Madame Guipure ; elle pouvait bien attendre un peu avant de déménager son bureau.

Ce fut un sanglot qui la tira de ses rêveries délirantes. A côté d’elle, même sa mère, d’ordinaire bavarde comme une pie, se tenait coite, le regard rivé sur la scène. Là-haut, on les avait alignés, et on énonçait maintenant la longue liste de leurs crimes d'une voix monocorde et nasillarde. Dans les yeux, Desmera, elle, pouvait lire le désespoir le plus profond de la Terre, et si elle entendait une partie de la foule se morfondre en un brouhaha qu’elle seule pouvait percevoir, elle ne pouvait s’empêcher de farfouiller dans les crânes des condamnés qui soudainement la fascinaient de leurs plaintes. L’une appelait à son amour, ses amis, ses moldus de parents ; l’autre se repentait pour toutes les stupidités de sa courte vie, le menton baissé, les yeux barbouillés de larmes.

Dans le silence, cette cacophonie fantomatique était telle qu’elle sentit sa gorge se serrer ; aussitôt, comme pour contrebalancer ces émotions qu’elle recevait en pleine figure, intruse dans l’intimité des derniers instants, elle fronça les sourcils avec dureté, et se força à vomir les insultes. Des traîtres. Des imbéciles. De pauvres sorciers aux convictions utopistes, aveuglés par le blabla idéaliste d’un leader au charisme de branchiflore, ils s’étaient condamnés sitôt qu’ils avaient brandi leur baguette contre l’inévitable. Des imbéciles comme elle en avait vu tous les jours, au ministère, avant la révolution mangemort ; ces idiots auxquels elle se devait de faire de jolis sourires, déployant ses talents de prédatrice, d’opportuniste, et surtout de parfaite hypocrite, alors qu'elle savait, qu'elle sentait qu'ils n'allaient pas faire long feu, les agneaux étourdis de justice. Elle continua sur sa lancée, encourageant la colère à outrepasser les prémices d’émotions mal venues ; elle, elle avait fait le choix de survivre. Survivre en sortant les crocs, les griffes, en déployant ces atouts qu’elle avait dû se forger d’elle-même, seule, irrémédiablement seule ; on l’avait soutenue, dans la famille, et elle en faisait aujourd’hui la fierté. Mais le combat, c’était elle qui l’avait mené, seule. Elle qui l’avait achevé, seule. Et, seule, elle avait fait bien plus que des dizaines de sorciers trop naïfs, empêtrés dans des convictions poison. Les faibles devaient mourir, martela-t-elle en refermant ses ongles rouge vif sur la manche de sa mère. Ils devaient mourir pour que les forts, pour que ceux de son espèce puisse rayonner avec l'éclat qui leur était dû.

Son cœur bégaya tout de même lorsque le premier éclair illumina la foule d'une lueur verte.