Je ne saurai expliquer l'envie qui me prit, en ce matin de premier mai 1998, de me lever et de me préparer afin de me rendre à l'exécution publique dont on parlait tant depuis plusieurs jours. Tout comme je ne pourrais sans doute jamais comprendre ce qui poussait tout le reste du public à y être présent. L'homme a ceci de particulier qu'il est complexe, et par là même, incompréhensible. Fous sont ceux qui pensent pouvoir comprendre la nature humaine. Pour ma part, ça fait bien longtemps que je ne cherche plus à saisir la logique humaine, j'ai même abandonné l'idée même d'une telle cohésion du genre humain. Dépassés les ressemblances et liens biologiques, l'être humain est pour moi un étranger qu'il est toujours intéressant d'observer. Le sujet le plus intriguant étant bien entendu, nous même. Mais ne me laissez pas partir dans des divagations de ce genre, à moins de vouloir les supporter pendant des heures entières.

Je me levais donc avec la bonne humeur qui caractérisait ces derniers jours, depuis que nous avions remporté la guerre. Cela faisait un mois que mon oncle, Augustus Rosier, avait pris place au Ministère de la Magie et j'allais être promue Oubliator en Chef d'ici quelques jours. Rien ne venait assombrir ce programme qui me semblait bien prometteur. D'un coup de baguette, je rallumais le feu sous deux potions qui reposaient depuis une journée entière. Je restais immobile, trois ou quatre minutes, les yeux fermés, écoutant les mixtures bouillirent dans leur récipient de bronze. Puis, lorsque je me fus trouvée entièrement satisfaite du bien que m'avait procuré ce bruit familier, je me dirigeais vers ma salle de bain afin de me vêtir d'une tenue élégante. J'allais pour m'installer dans mon fauteuil de lecture, face à la grande baie vitrée, lorsque mon regard tomba sur la une de la Gazette du Sorcier, portée sur le rebord de la fenêtre par un hibou. L'exécution publique a lieu aujourd'hui. Je souriais. Nul ne pouvait deviner la raison d'une telle expression, pas même moi. Je me servais un café avec deux gouttes de whisky pur feu en guise de petit-déjeuner et m'installais comme convenu dans mon fauteuil, un livre à la main : Les Histoires mémorables et tragiques de nostre temps, par François de Rosset, un auteur moldu dont les écris avaient quelque chose de particulier.

Alors que je finissais un chapitre spécialement divertissant intitulé Des horribles excès commis par une religieuse à l'instigation du diable, j'entendais Big Ben marteler les douze coups annonçant que la moitié de la journée venait de passer. Je me levais, attrapant au passage une longue cape de soie pistache que j'enfilais d'un mouvement ample, et transplanais jusque dans la rue principale du Chemin de Travers. Je bousculais en arrivant une sorcière inconnue mais ne m'en excusais guère. Je ne me sentais ni désolée ni obligée de lui présenter la moindre politesse, je ne pouvais pas savoir à l'avance qu'elle se trouverait ici et n'avait pas non plus envie de transplaner trop loin de la place, pour ne pas manquer le début de l'exécution.

Arrivée à mi-chemin de la rue principale, je m'arrêtais, observant l'estrade qui avait été montée pour l'occasion et les condamnés qui s'y trouvaient déjà rassemblés. Je prenais le temps de scruter chacun de leur visage, puis les quitter des yeux pour tenter de m'approcher plus près de la tribune. Je parvenais à quelques pas de la construction de bois. De là, je pourrais tout entendre sans mal.. Je ne cherchais pas à entendre les discours prononcés par mes collègues du Ministère chargés de l'exécution, leur contenu m'était déjà connu et je ne leur portais pas grande importance. Je cherchais à percevoir les murmures, respirations ou autres petits bruits imperceptibles et incontrôlés que pouvaient faire les futures victimes, curieuse d'imaginer quels pouvaient être leurs ressentis à l'heure actuelle.

Je fermais mes yeux. On s'appuie trop sur notre vision alors que de tous les sens, c'est bien là le sens le plus trompeur. J'écoutais attentivement les bruits de pas du bourreau sur le parquet, devinais les petits tapotements inquiets d'un des condamnés, sans doute Luna Lovegood, entendait la respiration courte de la condamnée la plus proche de ma position, Hermione Granger. J'entendis la première sentence de mort tomber, suivit du bruit mat et sourd du corps qui chue vers le sol, vide de toute vie. J'écoutais attentivement toutes ces morts. Chacune avait un son différent, même la voix du bourreau variait selon sa victime. La mécanique de cet événement extraordinaire me fascinait : tout était réglé, l'ordre des exécutions, les mots que prononçaient les condamnés, ceux de la foule ; tout était à sa place, rien ne détonait. J'entendais en même temps que ce qui se passait sur la scène les réactions du public. Mon intérêt pour cette foule que je ne regardais pas était d'autant plus grand que je ne les avais pas observé : ils n'étaient que des réactions, des ressentis, des bribes d'êtres humains que je me plaisais à reconstituer pour m'imaginer leurs visages et leurs histoires.

L'exécution prit fin et je rentrai chez moi, retrouver mes potions, mes livres et les papiers administratifs que je devais préparer pour ma prise de fonction.