juin 1998, trois heures du matin,
lieu inconnu.

Les éclats incandescents des sortilèges jaillissaient de part et d'autres, transformant la plaine en un champ de bataille méconnaissable, et illuminant le ciel de fugaces et lugubres éclairs. Le sang gangrenait l'air de son odeur acrimonieuse, provoquant sur Alastar des haut-le-coeur de plus en plus douceâtres et rebutants. Terrorisé, il scruta les alentours, persuadé que l'odeur pestilentielle allait attirer des adversaires d'une minute à l'autre. C'était abominable. Comment garder son sang-froid face à cette hécatombe ? Le jeune homme de vingt-ans voulait céder à la panique, à l'instar des autres sorciers dont il entendait les gémissements de douleurs et cris d'épouvante non loin de lui. Mais il ne devait en aucun cas céder à ses élans émotionnels, du moins pas durant les prochaines minutes qui allaient suivre.

Travers déglutit péniblement, un goût métallique et âcre aux bords des lèvres. Partout où il posait son regard noisette, il assistait à un sinistre carnage. Il peinait à se frayer un chemin tortueux parmi les corps sans vie, qui jonchaient le col de ce paysage apocalyptique, ses chaussures glissant régulièrement sur le liquide écarlate et poisseux répandu au sol. Lorsque certains d'entre eux laissaient échapper un râle atroce, son coeur d'ancien Poufsouffle lui sommait de s'arrêter. Inlassablement, la Morale le poussait à venir en aide aux mourants et blessés. Mais, il ignora avec succès cette once d'humanité, au profit de sa propre survie. Alastar n'en ressentit aucune honte tant son égoïsme était développé. Il n'était pas ce genre de personne à finir rongée par les regrets. L'amertume n'était pas une part de lui, et il s'en félicitait plus que jamais depuis les prémices de la guerre, en particulier depuis le début de la mission qui venait de lui être confiée, un mois auparavant.

Dans cette scène où l'anarchie régnait fastueusement, des pleurs enfantins se détachèrent soudainement de la cacophonie morbide. Instinctivement, il reconnut le signal. Alastar chercha la source de ces sanglots, son regard inspectant les alentours avec angoisse. Son attention se posa sur une silhouette vêtue de rouge pourpre. Un membre de la brigade, un collègue. L'inconnu leva au même moment une baguette de couleur sombre vers une fillette recroquevillée sur elle-même, apeurée et ensanglantée. Le sang de Travers ne fit qu'un tour, son futur allait se jouer à cet instant. Le jeune homme lança un sortilège informulé tout en se ruant vers l'innocente et son bourreau. Ce dernier fut frappé de plein fouet par le maléfice orangé, et tomba à la renverse dans un bruit glauque.

Dans l'affolement, Alastar dérapa en s'agenouillant près de la fillette, ses mains venant serrer les bras menues de la petite. Il se demanda brièvement si elle était une misérable et infecte sang-de-bourbe. Ses doigts pâles tiquèrent, dégoûté à l'idée d'avoir effleuré et sauvé une de ces erreurs de la nature. Alastar se fit violence afin de ne pas exprimer sa révulsion. Tu ne peux plus te permettre d'avoir ce genre de réaction, maintenant, se rabroua-t-il, ancrant son regard clair dans celui de l'innocente. Alors qu'il s'apprêtait à  la réconforter, des sortilèges fusèrent à nouveau au dessus d'eux. L'enfant poussa un cri effrayé, Alastar protégeant vainement son corps frêle et tremblant. Le claquement rapide de bottes en cuir sur le sol boueux se rapprochait d'eux. Cela lui fit esquisser un sourire fugace, dissimulé dans la chevelure de celle qu'il protégeait. Le premier acte va débuter, réalisa le jeune homme, une appréhension mêlée à une excitation malsaine faisant vibrer tous ses membres.

Avant même qu'il n'ait eu le temps de prévoir la suite des événements, il fut happé en arrière par une force inouïe, une main rugueuse empoignant douloureusement sa tignasse brune. « en voilà un bien amoché ! » ricana son assaillant, qui appuya cruellement sa baguette sur la plaie sanglante située sur la tempe d'Alastar. Celui-ci poussa un hurlement de douleur, ses pensées s'embuant soudainement dans une espèce de coton opaque. « une commotion, gamin, c'est vraiment mauvais. » continua-t-il à narguer Travers, alors qu'un autre membre de la brigade agrippait la fillette et enserra un bras autour de son cou gracile. « Pas lui, espèce de vieux dragon ! Surtout pas lui ! C'est le fils de Deirdre ! » s'écria le comparse de son tortionnaire, l'expression étrangement contrariée. L'effervescence d'Alastar fit place à la confusion, face aux propos de ses camarades. Tu es seul à partir de maintenant, lui avait rappelé le capitaine du service d'infiltration de la brigade rouge, avant qu'ils ne se quittent....sa phrase ne se devait pas d'être prise au sens littéral, pas vrai ? Alastar ne pouvait assurément guère être le seul acteur de cette mascarade... « C'est l'un des nôtres ! » Oh, par Merlin, les deux protagonistes de son propre camp n'avaient-il pas été prévenus de la mise en scène ?  « Oh, vraiment ? » grimaça-t-il, excédé par la nouvelle. Sa propre fureur le fit grincer des dents. Comment allait-il se débarrasser de ces deux ignares ? Ils allaient sans aucun doute répandre sa pseudo trahison à travers toute la communauté magique, dès l'instant où ils transplaneraient. Alastar n'était certainement pas prêt à abandonner sa vie confortable en tant qu'apprenti langue-de-plomb et héritier Travers pour assurer pleinement sa couverture, et plonger définitivement dans le monde des fugitifs. Ce n'était guère l'accord conclu. « C'est un traître ! » vociféra son assaillant, parvenant à la mauvaise conclusion. Alastar poussa un soupir exaspéré.  La Brigade Rouge était venue à lui si discrètement et naturellement qu'Alastar n'avait pas réellement compris leurs intentions au premier abord. Apprenti langue-de-plomb des plus ordinaires, il s'était attendu à ce qu'on vienne lui annoncer que sa mère Deirdre leur avait suggéré l'enrôlement de son fils unique, mais elle n'avait rien à voir avec cette entrevue secrète s'était-il aperçu bien plus tard. La véritable nature de cette rencontre était en soi une pure folie. Il en avait ri grassement, se moquant allègrement de cette idée qu'il pensait une plaisanterie de mauvais goût, avant de réaliser aux regards contrariés et impérieux que tout était sérieux. Au fond, le plan se révélait assez simple : être un agent dormant. Il devait convaincre les résistants qu'il s'était révélé traître à son sang durant une bataille quelconque, les infiltrer, renforcer sa couverture auprès d'eux, leur prouver sa sincérité et sa pseudo droiture, tout en vivant aussi ordinairement que possible auprès de sa famille et des autres sorciers de la communauté magique. Agent inactif, il serait indécelable. Alastar ne serait plus qu'un simple sympathisant de leur cause prétendument héroïque. Puis, au bout de quelques années, les rares membres de la brigade à connaître son double jeu viendraient à lui confier des missions précises, tout en espérant que les dissidents du gouvernement ne finissent pas eux-mêmes par l'inciter à devenir espion pour leur compte. La mécanique lui donnait un léger mal de tête. Alastar pouvait aisément s'en sortir en étant un membre de la brigade du Seigneur des Ténèbres, mais cela se révélait d'un tout autre niveau. Sa maigre consolation était l'espoir de retrouver Cho parmi ces fugitifs, cette amie qu'il avait tant de fois considéré comme la soeur qu'il n'avait jamais eu.

Mais, malgré son jeune âge, il savait pertinemment que les hauts dignitaires l'avaient scrupuleusement choisi pour son passé à Poudlard, et son profil. Ils le connaissaient presque parfaitement, avaient connaissance de la fierté et de son attachement presque fiévreux pour la pureté de son sang, de sa promiscuité avec des anciens élèves de toutes maisons - aujourd'hui devenus pour la moitié fugitifs ou résistants, son absence de remords en toutes circonstances, mais surtout : sa capacité à compartimenter ses émotions pour achever une logique froide et précise.

La méconnaissance de la situation des deux agents de la brigade constituait-elle alors un test pour Alastar ? Tout était possible de la part de tels êtres obsédés par leur guerre sempiternelle et absurde. Les Hommes étaient tous les mêmes, tous gangrenés par leurs idéaux, leurs préoccupations malsaines qu'ils pensaient justes. Un sourire désabusé illumina le visage blafard du jeune homme. Si vous voulez jouer, alors on va jouer. Alastar s'esclaffa, désarçonnant les deux agents de la brigade. La fillette profita alors de cet instant de confusion pour mordre violemment le bras du tortionnaire qui l'étranglait. Celui-ci poussa un juron étrangement moldu - un sang-mêlé ? - et lâcha la gamine pour prendre son membre ensanglanté. Alastar profita à son tour de la stupéfaction de son propre adversaire pour lui asséner un coup de tête, le propulsant en arrière. Allongé à même le sol poisseux, il s'empara en un éclair de la baguette de son agresseur, galvanisé à l'idée que leur présence incongrue n'était qu'un test. Sans aucune hésitation, deux éclats de lumière verte percutèrent tour à tour violemment les deux agents de la brigade rouge, qui s'affaissèrent comme de vulgaires poupées désarticulées.  

Il venait de tuer deux hommes.

Il était un meurtrier. La simple idée le laissait curieusement vide.

Alastar prit appui sur ses deux avant bras, eut une quinte de toux, et cracha quelques gouttes de sang au sol. L'atmosphère était électrique, et il n'en réalisa que quelques secondes plus tard la raison : trois femmes se tenaient à quelques mètres de lui. L'une d'elle enlaçait tendrement la fillette qui sanglotait. Des résistantes. L'adrénaline l'immobilisa, et son regard s'illumina. Peu importe les deux cadavres de ses victimes, plus rien d'autre n'importait que ces trois sorcières dans l'expectative. Il était si prêt du but.

« Tu vas bien ? » finit par souffler la jeune fille qui tenait la gamine dans ses bras, alors que la troisième sorcière restait en alerte, surveillant la moindre menace aux alentours. « C'est Alastar Travers... » murmura la troisième femme, surprise. Lui-même étonné qu'elle puisse le connaître, il tenta brièvement de mettre un nom sur son visage de porcelaine. « Il était dans l'armée de dumbledore quand...quand Ombrage était directrice »  ça n'a jamais été de gaieté de coeur voulut-il ajouter par dépit, se remémorant la première réunion d'information à laquelle Cho l'avait amené, son refus méprisant de signer le parchemin de Granger à la suite de son amie, et finalement son envie subite et irraisonnable d'accepter lorsque la Serdaigle lui en avait reparlé une dernière fois, quelques minutes après qu'il ait goûté pour la première fois de sa vie à la potion de Felix Felicis. Était-il possible que le philtre de chance avait prévu aussi loin dans le futur, que le breuvage magique avait prédit ce moment fatidique où il allait faire face à ces trois sorcières ? C'était magiquement impossible, mais une part d'Alastar se surprit à naïvement espérer. Son départ de l'AD, après avoir su que sa soeur de coeur avait sali la mémoire de Cédric avec ce stupide balafré, aussi charismatique qu'une moule échouée sur la plage, pouvait certainement jouer en sa défaveur. Allaient-elles penser qu'il avait lâchement abandonné par désintérêt pour leur cause, ou allaient-elles croire la rumeur plus romanesque selon laquelle le couple fraîchement formé avait brisé le coeur du mystérieux Travers ?  « C'était un Poufsouffle... » murmura la sorcière, en se mordant fébrilement la lèvre inférieure. Alastar retint sa respiration, guettant la moindre expression de son visage afin d'y déceler une quelconque suspicion à son encontre. La jeune femme soutint le regard intense et pénétrant du garçon, l'espace d'interminables secondes. « C'était l'un des meilleurs amis de Cédric Diggory... » souffla-t-elle délicatement, d'un ton compatissant. A l'entente du prénom de son défunt ami, le visage jusqu'alors impassible du jeune homme se rembrunit, et ses membres se crispèrent. Comment osait-elle parler de lui ? Cette infecte vermine était indigne de ne serait-ce que prononcer le nom de Cédric. La gorge serrée, ses yeux noisettes se détournèrent de la sorcière, mettant fin à leur connexion silencieuse. La douleur du deuil lui martelait le coeur. « Il m'a sauvée... » affirma soudainement d'une voix fluette la petite fille, qui était restée jusqu'alors muette. La mâchoire d'Alastar se contracta, en remarquant l'ardente lueur qui animait ses prunelles émeraudes. La fierté d'Alastar le dissuada d'ajouter quoique ce soit pour sa défense. Si elles n'avaient pas été convaincues par ce qu'il venait de faire, alors....alors merde, je vais pas leur baiser les pieds à ces connasses.

« D'autres arrivent ! » s'exclama soudainement un autre impur, à une vingtaine de mètres d'eux. La résistante la plus sceptique lui jeta un coup d'oeil, avant de finalement s'avancer et de lui tendre la main. Alastar en eut le souffle coupé. C'est maintenant ou jamais. La première étape de l'infiltration était sur le point de réussir. Par fierté masculine et typiquement Travers, il ignora la main tendue de la jeune femme. Il la vit plisser les lèvres, contrite, alors qu'il se relevait de lui-même en titubant, les deux autres sorcières se précipitant pour l'aider. Puis, finalement, le jeune langue-de-plomb hocha solennellement la tête vers la plus dubitative, qui s'apaisa aussitôt. Elle lui offrit en retour un sourire courtois et mesuré.

(...)